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Préjugés

Virginie, l'infirmière qui a vaincu ses fantômes et soigné son âme

En surpoids depuis l’âge de 5 ans, maman de sept enfants, femme active et déterminée, cette professionnelle de santé a vécu la solitude et la discrimination. Aujourd’hui, elle croque la vie à pleines dents.

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Virginie, c’est un message d’espoir à elle seule. C’est la démonstration incarnée de ces petites victoires qui, enchaîné au fil du temps, construisent une personnalité hors du commun. Attachante comme jamais, bienveillante pour toujours, courageuse devant l'obstacle. Pourtant, au début de sa vie, Virginie Le Guen a connu et subi les affres de la discrimination.

Toute petite, à 5 ans, la voilà propulsée dans un village rural de 1 500 habitants du Pays de Loire où ses parents sont regardés de travers par la population. La famille n’est pas du coin, les préjugés s’accumulent, Virginie grandit sans beaucoup d’amis et comble le vide en se nourrissant en cachette. Elle n’apprendra que bien plus tard ce que signifie l’hyperphagie boulimique et les raisons personnelles qui ont déclenché cette maladie.

A l’école, elle aimerait pouvoir jouer avec les autres enfants. Invariablement, elle essuie un refus. Trop grosse, trop moche. Pas assez ceci, pas assez cela. Au collège, hormis l’année de 6e où une copine d’origine portugaise au caractère bien trempé la protège des reproches et de la discrimination, Virginie s’enferme dans la solitude. « C’était l’horreur pour moi, se souvient-elle. J’étais l’élève la plus volumineuse du collège. On ne m’appelait plus par mon prénom, mais ‘’grosse’’ ou ‘’gros quelque chose’’ : tas de pâté, vache, niaise… ».

A 13 ans, elle mesure 1,70 m et pèse 85 kilos. Les regards accusateurs, les mots blessants, le sentiment de culpabilité omniprésent, la conduisent à fuir le monde. « J’avais conscience de mon apparence physique ». A cause de ce qu’elle considère être un fardeau, les récréations, elle les passe enfermée dans les toilettes. « Tout était prétexte à m’isoler. Cela m’a empêché d’avoir des amis. A cause de cette socialisation, je suis restée immature plus longtemps que la moyenne », reconnaît-elle avec émotion.

« Je manquais cruellement de confiance en moi »

A la faveur d’un nouveau déménagement, elle intègre un nouvel établissement scolaire dans une ville voisine de 10 000 habitants. Un changement synonyme de bouffée d’oxygène qui va la faire basculer du statut d’enfant victime à celui de « fille-mec qui fume », comme elle dit. « Colérique, impulsive, j’étais toujours sur la défensive », admet-elle. A la provocation ou à l’insulte, elle réagit par violence. Sa stature et ses réactions imposent le respect. Mais cette carapace fabriquée ne correspond pas à la personnalité aimante de Virginie. Au contraire, elle a longtemps masqué un profond et lointain manque d’assurance.

Les années passent, les étapes personnelles, sociales et professionnelles s’enchaînent, Virginie évolue dans un monde qui ne l’épargne pas. Son BEP sanitaire et social en poche, elle cumule les petits boulots. Son poids au travail ? « Les personnes en situation d’obésité sont moins considérées et plus facilement comparées à d’autres. On a besoin de faire beaucoup plus ses preuves, car l’obésité peut laisser croire qu’on est moins productif, moins intelligents… Nous devons donc redoubler d’efforts pour montrer nos capacités ».

Et le poids dans la vie de tous les jours ? « Quand j’analyse la situation, je me rends compte que je manquais d’estime de moi. Au cours de mon parcours de vie, j’ai accepté des situations qui étaient inacceptables et on a utilisé mes faiblesses. J’étais toujours en stress, à la fois jalouse et possessive, je manquais cruellement de confiance en moi », décrypte celle qui, aujourd’hui, élève seule ses sept enfants, âgés de douze mois à 20 ans, issus de rencontres avec trois papas différents. Chaque grossesse a entraîné du poids supplémentaire, chaque rupture des kilos émotionnels en plus.

« Ne pas tomber dans le piège de la culpabilité »

L’obésité n’est pas une fatalité, ni un choix de vie. C’est une maladie et, à ce titre, elle n’hésite pas à parler avec deux de ses filles qui présentent des signes de la pathologie. « Pas question pour moi de les mettre sous surveillance ou de leur imposer des régimes. J’en ai en fait des dizaines et ils ne servent qu’à rependre encore plus de poids. En tant que maman, je prépare des repas équilibrés, je leur dis de prendre plaisir et d’être modérées si elles désirent quelque chose, car je ne souhaite pas qu’elles tombent dans le piège de la culpabilité que j’ai pu connaître. Elles n’ignorent pas leur morphologie. Mon conseil : « Aimez-vous comme vous êtes ». Toutes les deux judokates en devenir, les filles de Virginie grandissent, s’épanouissent, vivent de belles amitiés avec les copains et les copines et, surtout, ont confiance en elles.

Le poids, Virginie n’a cessé de le subir et de le combattre tout au long de son existence. Jusqu’à ce déclic, jusqu’à cette formation d’aide-soignante. Déjà sa professeure avait constaté que Virginie s’essoufflait vite. Gravir les escaliers quand on pèse 140 kilos laisse des traces cardiaques. Et puis, il y a eu cet exercice : la prise de tension. Impossible d’enfiler le tensiomètre sur son bras. Pas assez large, trop de chair. « J’ai failli pleurer, je me suis toujours battue contre mes kilos. Et là, j’ai compris qu’il en allait de ma santé. Je me destinais à soigner les autres, il fallait que j’agisse aussi pour moi. »

Rêve professionnel abouti et engagement associative

A 33 ans, Virginie entreprend avec conviction un parcours de chirurgie bariatrique. L’expérience la remet, dit-elle, « dans le droit chemin » : s’astreindre à un rythme de repas régulier, pratiquer une activité physique, retrouver l’estime de soi. L’impact est réel : 50 kilos en moins. Mais les trois grossesses, conjuguées aux relations difficiles avec les papas et à des troubles du comportement alimentaire récurrents effacent, onze ans plus tard, la moitié du bénéfice. Virginie ne baisse pas les bras pour autant.

Animée par la soif d’apprendre, fière de ses enfants dont elle loue le sens des responsabilités et l’autonomie, elle décroche, après trois ans d’études acharnées, son diplôme d’infirmière : premier concours, 1er prix ! Au passage, elle crée en 2015, avec cinq autres femmes, l’association Le Cocon, dont le but est d’accompagner et de soutenir des personnes à vivre en harmonie avec leur surpoids ou leur obésité et devient membre du Conseil patients de la Ligue nationale contre l’obésité.

Son expérience, Virginie Le Guen la partage. C’est sa façon à elle de tendre la main à tous ceux qui doutent de leurs capacités et de leurs aptitudes. A 44 ans, elle a vaincu ses fantômes. Sa trajectoire est celle de la confiance retrouvée et du rêve professionnel abouti. En famille, les uns veillent sur les autres.

En société, elle affiche sa devise : croire en soi, ne pas perdre espoir. Virginie, « la maman courage » qui a soigné son âme, sait de quoi elle parle.

Philippe Saint-Clair

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